Conversations intimes avec Kissibi, payé Tukano de l’Amazonie

Publié le 14 Août 2020

Un savoir qui n’est possible à appréhender qu’en observant la respiration du chaman, les inflexions de sa voix et en se plongeant dans l’abîme de son regard qui a entrevu d’autres mondes

Il y a des années, je suis devenu ami avec le chaman Kissibi (connu sous le nom de « Raymundo » en Amazonie) par l’intermédiaire d’Alejandro Iglesias Rossi (connu sous le nom de « Miguelito » également là-bas). Kissibi est l’un des plus célèbres guérisseurs de la population indigène de l’Amazonas, et est même utilisé par des gens du monde entier pour soigner des maladies que la médecine occidentale ne peut pas traiter.

Lors de notre dernière rencontre, nous avons eu de longs entretiens dans son village de la selva brésilienne. Voici un extrait de ses conceptions sur le chamanisme Tukano :

« Nous, les payés, nous voyons en rêve quelle est la maladie du malade… c’est à l’aube que l’on a la révélation… la maladie sera guérie par des prières, par la prière. Je travaille avec la selva, j’introduis la prière à la plante, je bénis toute l’infusion et j’ordonne au patient de la prendre en fonction des symptômes des maladies… Je travaille fondamentalement avec une liane appelée Saracura ».

« Il est important de savoir que la fonction du chamanisme est à la fois positive et négative… on peut le voir dans la jungle, quand on trouve une plante médicinale à ses côtés il y en aura toujours une qui est toxique, elles sont toujours accompagnées ».

« Mon père était payé, c’est lui qui m’a transmis le savoir… Il a commencé à m’enseigner à 9 heures du soir… à cette heure-là, le reste de la communauté allait dormir et je restait avec mon père à parler et à apprendre jusqu’à 3 heures du matin, ce qu’il a fait tous les jours pendant un an. Quand il a fini de tout me transmettre, il m’a dit : « Maintenant mon professeur va être toi, si tu as vraiment appris, tu devras m’apprendre tout ce que je t’ai transmis depuis le début »… à partir de ce moment, j’ai commencé à lui montrer ce que je savais et il m’a corrigé quand j’avais tort… 6 mois jour après jour cette évaluation a duré ».

« Les peintures corporelles que nous utilisons dans la cérémonie du Caapi sont les dessins de l’Anaconda Primordial, tout comme les autres tribus ont des bâtons dans les oreilles parce qu’ils proviennent des arbres ».

« Il en est ainsi parce que pour nous, les Tukano Dessana, notre Dieu est Boreka et la première chose qu’il a créée, c’est un Canoë Anaconda… après l’avoir créé, il a rassemblé tous les êtres invisibles (mes ancêtres), les a montés, embarqué avec eux à l’intérieur du Canoë et ils ont voyagé en plongeant au fond de la rivière comme un serpent… au milieu de la rivière il y avait une très grande et dangereuse chute de pierres et au milieu des pierres Boreka a cloué son Bâton Rituel Sacré ».

« Ce Bâton est très important pour nous car, en réalité, c’est une arme que nous, les payés, utilisons » (Kissibi me montre alors une lance de 2,30 mètres, avec un hochet en calebasse et des plumes blanches à son extrémité)… « puis il a cloué le Bâton au centre des pierres et a marqué, le Sud, le Nord, l’Est, l’Ouest, les 4 points cardinaux et au moyen de la Longueur du Bâton, il a fait un cercle pour délimiter notre territoire ».

C’est la première note pour ElOrejiverde dans laquelle Kissibi-Raymundo tente de traduire, dans notre syntaxe rationnelle, son insondable savoir. Une connaissance franchement impossible à saisir dans sa totalité si ce n’est en l’observant respirer, par les inflexions de sa voix, ses gestes et en se plongeant dans l’abîme de son regard qui a entrevu d’autres mondes.

Brésil – Mon nom est Kissibi, ce qui signifie « être humain de la lumière ».

Publié le 15 Août 2020

Deuxième volet des conversations intimes avec un payé Tukano d’Amazonie qui nous parle de ses instruments de musique et de cérémonie

« Mon nom est Kissibi, ce qui signifie « être humain de lumière ». Nous sommes des Tukano du haut Rio Negro. Dans l’eau, dans la brise, dans les plantes, vivent les esprits dont les chamans tirent leur savoir ».

Aujourd’hui, Kisiibi nous parle de ses instruments de musique et des secrets qui les habitent : « Cet instrument est un bâton de rythme et est utilisé pour la cérémonie du Caapi (Ayahuasca)… Il est fait de canne de bambou… Après la transformation de l’Humanité sur cette planète, Boreka (Dieu Tukano) a rassemblé tous les indigènes du Rio Negro et leur a appris à danser avec lui… quand les membres de ma communauté ont fait leur premier pas de danse, il a suspendu la canne à un mètre de hauteur et la moitié des danseurs se sont levés avec elle dans les airs, montant vers le ciel et l’autre moitié est descendue dans les profondeurs de la terre quand il a frappé l’instrument dessus ».

Le Maraca est utilisé pour la guérison de maladies spirituelles, c’est l’instrument principal du payé. Il est utilisé avec des chants et des prières… (à ce moment-là, Kissibi commence à jouer et à chanter en langue tukano)… « ce que je viens de faire, c’est d’enlever l’énergie négative qui génère des maux de tête, entre autres, et d’introduire une protection chez le patient ».

« Cet autre instrument s’appelle Yapurutú » -Kissibi me montre maintenant une flûte de palmier sombre de 1,5 mètre de long- « nos ancêtres l’utilisaient pour les cérémonies d’offrandes… de ces instruments on accrochait un poisson ou un morceau de viande rôtie à ses extrémités et avec lui les hommes accomplissaient la cérémonie en dansant et en jouant… à la fin du rituel les femmes prenaient la nourriture de l’instrument et l’emportaient avec elles ».

« Pour nous, chaque instrument de musique est cérémoniel… chacun a sa signification… les instruments sont de la nature. »

Par Andres Eduardo Fortunato


Magister. Professeur de la Licence en Musique Native, Classique et Populaire d’Amérique fondée par Alejandro Iglesias Rossi à l’Université Nationale de Tres de Febrero. Depuis le milieu de la dernière décennie, il est chercheur, luthier d’instruments précolombiens et musicien de l’Orchestre des instruments autochtones et des nouvelles technologies
Date : 12/8/2020

Glossaire
Caapi, Yajé : plante sacrée populairement connue sous le nom d’ayahuasca
Payé : chaman, guérisseur

Saracura : plante médicinale énergétique, utilisée dans le traitement de la fatigue physique, de l’activité sexuelle, de l’insomnie, de la nervosité, du manque de mémoire. Elle a des propriétés anti-syphilitiques et combat avec succès la malaria. Très populaire en Amazonie
Tukano : Tucano, Tukano Yepa masa ou Dasea Desano, Desana, Wirá ou Mimí est un groupe ethnique indigène originaire des forêts du département colombien de Vaupés et des rives du Rio Negro dans l’État brésilien d’Amazonas, à la frontière entre la Colombie et le Brésil.

traduction carolita d’un article paru sur Elorejiverde le 12/08/2020

Mi nombre es Kissibi que significa « Ser humano de la luz »

Segunda entrega de las conversaciones íntimas con un payé tukano del Amazonas quien nos habla de sus instrumentos musicales y ceremoniales « Mi nombre es Kissibi que significa Ser humano de la luz…

http://www.elorejiverde.com/el-don-de-la-palabra/5652-